Accueil

Société Laïcité et religions
Affaire du cardinal Ricard : "Dans les milieux catholiques, d'autres noms circulent"
Eric de Moulins-Beaufort, président de la Conférence des Évêques de France, lors de son annonce à la presse, le 8 novembre 2022.
Hans Lucas via AFP.

Affaire du cardinal Ricard : "Dans les milieux catholiques, d'autres noms circulent"

Entretien

Propos recueillis par

Publié le

Un nouveau scandale d'agression sexuelle vient faire tanguer l’Église de France. Cette fois, c'est l'épiscopat lui-même qui a révélé les faits dont s'est rendu coupable le cardinal Jean-Pierre Ricard. Un changement de méthode dans la façon dont l'Église traite ces affaires ? Absolument pas, pour Yolande Dufayet-Delatour, membre de la Commission indépendante sur les abus sexuels dans l'Église et elle-même victime.

Un de plus. La révélation d'un nouveau scandale d'agression sexuelle dans l'Église catholique, avouée par le cardinal Ricard, a provoqué une onde de choc : la justice a ouvert une enquête tandis que les évêques ont annoncé à Lourdes une mesure d'aide à la gestion des affaires. Le cardinal Jean-Pierre Ricard, figure de l’Église de France, a créé la stupeur en avouant, via un message lu lundi 7 novembre par le président de l'épiscopat à l'assemblée plénière de Lourdes, avoir eu, lorsqu'il était curé il y a 35 ans, une conduite « répréhensible avec une jeune fille de 14 ans » à Marseille. Un scandale révélé par l'épiscopat lui-même, donc, qui a également annoncé que dix anciens évêques avaient affaire ou avaient eu affaire à la justice – « huit mis en cause pour abus » et deux « pour non-dénonciation ». Faut-il y voir un changement de méthode dans la façon dont l’Église de France gère les affaires d'abus en son sein ? Absolument pas, pour Yolande Dufayet-Delatour, membre du groupe « miroir » de la Commission indépendante sur les abus sexuels dans l'Église (Ciase), elle-même victime d'un prêtre pédophile. Marianne s'est entretenu avec elle.

Marianne : L'affaire Ricard a été révélée par le cardinal lui-même et dévoilée à la presse par la Conférence des évêques de France (Cef). Faut-il y voir un changement de doctrine en la matière ?

Yolande du Fayet de la Tour : Je ne le pense pas. La Conférence des évêques de France était au pied du mur : son nom circulait depuis plusieurs jours et tout laissait penser que l'affaire allait sortir. Depuis la publication du rapport Sauvé, la Cef n'a rien fait ou presque et je ne crois pas qu'ils aient réellement l'intention de faire quoi que ce soit en matière de transparence des procédures et d’information et recherches des victimes… L'affaire Ricard, ce n'est rien de plus qu'un grand coup de comm' à peu de frais teinté d’un cynisme qui me glace : la prescription lui est acquise depuis six mois. Tout cela me fait l'effet d'un os qu'on donne à ronger aux victimes et à la presse, un nom qu'on jette en pâture puisque de toute façon, il ne sera jamais inquiété par la justice. Pendant ce temps, continuent dans le silence, le déplacement des prêtres pédophiles, la non-information des victimes concernées par les procédures canoniques – à cet effet nous attendons toujours la création du nouveau tribunal pénal canonique initialement prévue en avril et reportée 2 fois –, les indemnisations patinent. Ils n’ont intégré ni le savoir des victimes ni les demandes des laïcs dans le traitement.

A LIRE AUSSI : "Je suis la maman du bourreau" de David Lelait-Helo : autopsie d’une déflagration

N'avez-vous pourtant pas l'impression que c'est un progrès que l'information vienne cette fois de la Conférence des Évêques de France ?

Un progrès ? L'année dernière, les évêques se sont livrés à des agenouillements à Lourdes pour demander pardon aux victimes d'abus sexuels dans l'Église. En septembre 2022, la revue Golias a révélé que l'évêque Michel Santier s'était livré à des « strip confessions » avec au moins deux de ses paroissiens – il les forçait à se déshabiller pendant leurs confessions. Michel Aupetit était au courant depuis 2019 et Michel Santier a pu démissionner en 2020 en évoquant des « soucis de santé » et en octobre 2021, le Vatican l'a condamné à une « vie de prière et de pénitence ». L'information n'est sortie que grâce à la presse, via Golias en septembre 2022. Et quand les évêques s'agenouillaient à Lourdes pour demander pour demander pardon aux victimes, ils étaient déjà tous au courant ! Rien ne change : l’Église se bouge quand les journalistes fouillent les poubelles – d’où le mouvement « sortez les poubelles » initié par certains catholiques.

« S'il y avait eu un vrai changement de culture, alors il dirait simplement la vérité, toute la vérité, de façon claire. »

Le président de la Conférence des Évêques de France, Eric de Moulins-Beaufort, a annoncé que dix autres évêques avaient eu affaire à la justice civile ou à la justice de l'Église.

Moulins-Beaufort veut nous faire croire qu'il va « tout nous dire », mais là encore il ne nous dit pas qui et nous prévient a posteriori. Il dit lui-même que ces cas étaient « connus de la presse ». Il se dédouane aux yeux du bon peuple. Et surtout, quand on écoute la conférence de presse, il continue à utiliser un langage cryptique auquel personne ne comprend rien, la même langue de bois qu’on a l'habitude d’entendre. Les mots ne sont jamais appropriés, ils ne décrivent pas le même réel – de l'enfumage. S'il y avait eu un vrai changement de culture, alors il dirait simplement la vérité, toute la vérité, de façon claire. Ça veut dire quoi « contraire au 6e commandement » ? ! On parle d'agression sexuelle ? De viol ? D'attouchement ?

A LIRE AUSSI : Abus sexuels dans l'Église : "Moulins-Beaufort fait partie du problème et doit démissionner"

Ces affaires continuent pourtant d'éloigner les catholiques français de l'Église…

Depuis la sortie du rapport Sauvé, beaucoup de laïcs n’ont plus confiance en l'Église. Les dernières manifestations des jeunes laïcs de « Agir pour mon église » sont là pour le leur rappeler. Ce qui semble bouger c’est que même dans les milieux catholiques conservateurs, des gens très impliqués dans leurs paroisses commencent à vouloir jeter l’éponge. On ne trouve plus beaucoup de monde désireux de protéger l'institution. L'année dernière, j'avais écrit une tribune pour critiquer l'agenouillement des évêques à Lourdes, à l'époque encore, certaines associations de victimes m'avaient trouvée trop violente. Mais aujourd'hui, tout le monde sait qu'à ce moment-là, ils cachaient déjà l'affaire Sentier, et combien d'autres ? Il y a aussi des prêtres, jeunes et moins jeunes qui sont partis ou qui sont en train de partir, parce que la situation est intenable. Voilà quelque chose qui a vraiment changé depuis la sortie du rapport.

Il faut donc s'attendre à ce que d'autres affaires sortent ces prochains mois.

Nous ne sommes qu'au début. Dans les milieux catholiques, nous avons des noms qui circulent, certains avec insistance. D'autant que, comme l'écrivait Frédéric Martel dans Sodoma, ce sont souvent les gens qui sont au premier plan dans la lutte contre un sujet qui sont les premiers concernés pour utiliser leur place en vue comme couverture. Nous en avons eu un exemple avec Mgr Ricard qui a eu 2 mandats à la tête de la CEF. Qui est le prochain ?

Votre abonnement nous engage

En vous abonnant, vous soutenez le projet de la rédaction de Marianne : un journalisme libre, ni partisan, ni pactisant, toujours engagé ; un journalisme à la fois critique et force de proposition.

Natacha Polony, directrice de la rédaction de Marianne