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La chloroquine, un médicament contre le paludisme, est-elle efficace contre le Covid-19 ?

Un infectiologue s'appuie sur des travaux chinois pour recommander l'utilisation d'un traitement antipaludique contre le nouveau coronavirus. Pour le reste de la communauté scientifique, les preuves manquent.
par Pauline Moullot
publié le 28 février 2020 à 17h06

Question posée par Marbi le 26/02/2020

Bonjour,

Depuis quelques jours, de nombreux médias sont revenus sur l'annonce selon laquelle un traitement contre le paludisme, la chloroquine, pourrait être efficace contre le Covid-19. L'annonce a été faite dans une «lettre» (et non dans une étude), publiée par le journal BioScience Trends. Les deux auteurs, de l'université de Qingdao en Chine, recommandent d'utiliser la molécule contre le nouveau coronavirus. Ils s'appuient sur un autre article, affirmant que des tests in vitro ont montré l'efficacité de la chloroquine contre l'infection.

En France, l'annonce a fait le tour des médias après que le professeur Didier Raoult, directeur de l'Institut Méditerranée Infection à Marseille (IHU), a largement relayé l'information. Vous nous avez interrogés sur un article de France 3, qui revient sur une vidéo publiée par l'Institut Méditerranée Infection, où Didier Raoult révèle les résultats de ce qu'il présente comme une étude : «Une nouvelle très importante, les Chinois […] ont fait du repositionning, c'est-à-dire, ils testent les molécules qui sont anciennes et qui sont connues, sans problème de toxicité, pour les tester sur les coronavirus. […] Ils ont trouvé que la chloroquine est active in vitro […] et ça vient de sortir : c'est efficace sur les coronavirus avec 500 milligrammes par jour, pendant dix jours, une amélioration spectaculaire. Et c'est recommandé pour tous les cas cliniquement positifs d'infection au coronavirus chinois.»

Aux Echos, il explique : «Finalement, cette infection est peut-être la plus simple et la moins chère à soigner de toutes les infections virales.» Sur France Info, il détaille : «On savait déjà au laboratoire qu'il devait marcher. On attend qu'il y ait des essais cliniques qui rapportent l'efficacité que l'on préjugeait. Il y aura peut-être des ajustements sur la dose qu'il faut donner, et le temps pendant lequel il faut administrer le médicament.» Et auprès de 20 Minutes, il insiste : «Les scientifiques chinois sont des gens très sérieux. Ce ne sont pas des zozos, et ils ont montré que la chloroquine marche. Ça serait honnêtement une faute médicale que de ne pas donner de la chloroquine au coronavirus chinois. Ça n'a pas de sens. Soyons sérieux.» Ce dernier journal a toutefois publié une mise au point au-dessus de l'interview : «Edit le 27 février : dans un tweet, le ministère de la Santé indique qu'aucune étude rigoureuse, publiée dans une revue internationale à comité de lecture indépendant, ne démontre l'efficacité de la chloroquine pour lutter contre l'infection au coronavirus chez l'être humain".»

De fait, après la surmédiatisation de ce nouveau traitement, des voix se sont élevées pour relativiser la nouvelle. Dans un article sur la recherche d'un remède contre le Covid-19, Libération citait à ce propos le professeur Xavier Lescure, spécialiste des maladies infectieuses et tropicales à l'hôpital Bichat à Paris : «Un médecin doit être un saint Thomas. Il doit s'appuyer sur des faits et là, je n'en vois pas la couleur. Par expérience, j'observe que, quand des chercheurs démontrent l'efficacité d'un traitement, ils publient leurs résultats bruts, pas de simples recommandations de traitement, comme c'est le cas. J'attends des preuves.»

Pas de publication des données

Auprès de CheckNews, le docteur Alexandre Bleibtreu, infectiologue à la Pitié-Salpêtrière, explique : «On a une première étude qui montre que la chloroquine a une activité sur le virus, in vitro. Et un deuxième travail, qui est un "point de vue", qui rapporte qu'elle aurait été utilisée sur cent malades chinois dans dix hôpitaux différents et aurait permis d'améliorer les symptômes et de diminuer la charge virale». Mais un point, relevé par de nombreux scientifiques, laisse sceptique : aucune donnée n'a été fournie et publiée pour étayer ces informations. «Sur le plan scientifique, cette "lettre" ne vaut rien. Ce que l'on peut dire à l'heure actuelle c'est que la molécule est active sur le virus in vitro. Mais il n'y a aucune donnée scientifiquement prouvée soutenant l'usage de la chloroquine chez les malades et entraînant un bénéfice chez les malades. Peut-être que des données valables vont être publiées, mais aujourd'hui, on ne peut absolument pas recommander l'usage de la chloroquine si ce n'est en s'appuyant sur des positions non documentées.»

Un point de vue qui rejoint celui de la Pr Astrid Vabret, infectiologue au CHU de Caen, auprès de Sciences et Avenir : «[La chloroquine] on sait que ça marche bien in vitro sur les virus enveloppés comme l'est ce nouveau coronavirus. Mais les données cliniques restent très limitées.» A quoi Didier Raoult a répondu dans 20 Minutes : «Les ragots des uns et des autres, je m'en fous. Ça ne m'intéresse pas. […] Quand on a montré qu'un médicament marchait sur une centaine de personnes alors que tout le monde est en train de faire une crise de nerfs, et qu'il y a des andouilles qui disent qu'on n'est pas sûr que ça marche, ça ne m'intéresse pas !»

En plus du ministère de la Santé, l'Inserm a aussi publié une mise au point sur l'utilisation de la chloroquine pour traiter le Covid-19. Revenant sur les différentes études publiées sur la chloroquine et différentes infections virales : «Si la possibilité de pouvoir utiliser des traitements antipaludiques sûrs, déjà bien connus et peu coûteux chez les patients atteints de coronavirus est intéressante, il est primordial d'avoir une visibilité sur des données issues d'essais cliniques impliquant des patients infectés par SARS-Cov-2 [autre nom du virus Covid-19, ndlr], publiées et donc rendues accessibles à la communauté scientifique internationale.» L'institut insiste surtout sur le fait qu'il ne faut pas se faire prescrire la molécule pour l'utiliser en automédication.

L’IHU continue de défendre la chloroquine

Contacté par CheckNews, l'IHU Méditerranée Infection reste sur ses positions. Sur son site, un communiqué revenant sur les sources du Professeur Raoult a été publié. «Pour nous, les sources crédibles venant de Chine sont unanimes pour dire que la chloroquine a une efficacité. Il y a des réserves parfois légitimes mais on estime que quand il y a des communications aussi concordantes, aussi fiables sur cette question, il est pertinent de les relayer en France car la France doit s'inspirer de ce qui fait la Chine qui est en première ligne sur le virus. Ce serait une faute médicale de ne pas regarder ce que font ceux qui sont au plus près».

Sur le fait que les études n'aient pas fourni de données précises étayant leurs découvertes, un porte-parole de l'IHU explique : «On est dans une certaine urgence aujourd'hui. On commence à avoir des cas en France, donc il faut trouver des solutions pour les traiter. On n'a pas le temps long nécessaire aux publications scientifiques et aux études cliniques.» Répondant aux critiques sur les effets secondaires, il poursuit : «Aucun médicament n'est anodin. Il y a des effets secondaires, mais c'est un médicament qu'on connaît bien, utilisé depuis des années donc on sait faire de la posologie.»

La méthode utilisée par les chercheurs, le «repositionning», est-elle habituelle en cas de nouveau virus. «Dès qu'un nouveau virus apparaît, on réutilise des anciennes molécules. D'abord in vitro, et s'il y en a une qui marche on peut les utiliser pour aider les gens. C'est une méthode intelligente car si jamais une molécule marche, elle est disponible tout de suite», relate Alexandre Bleibtreu de la Pitié-Salpêtrière. Certaines molécules ont par ailleurs déjà été utilisées pour traiter les patients atteints du Covid-19. «Pour les formes intermédiaires, le groupe de travail recommande l'administration par voie orale d'un antiviral utilisé en trithérapie contre le VIH, le lopinavir. Pour les formes les plus sévères, les patients recevront par voie intraveineuse du remdesivir, molécule utilisée par le passé lors des épidémies d'autres types de coronavirus, le Sras et le Mers», expliquait ainsi Libé en milieu de semaine.

La molécule figure d'ailleurs dans la liste des pistes thérapeutiques possibles pour le Covid-19.

Cordialement

Ecoutez le podcast hebdo des coulisses de CheckNews. Cette semaine : comment nous avons trouvé qui se cachait derrière la page facebook de Zoé Sagan, une des premières à avoir partagé le lien vers les vidéos intimes de Benjamin Griveaux.

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