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BASTIEN LION / « LE MONDE »

Gaël Duval, l’adepte de Linux qui veut libérer les smartphones

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Publié le 02 décembre 2019 à 13h50

Temps de Lecture 6 min.

Pour rencontrer Gaël Duval, aucune adresse n’est spécifiée, aucun bureau, aucun espace de coworking. De son propre aveu, son lieu de travail, « c’est Internet ». Depuis son entrée à la fac dans les années 1990, toute la carrière de ce Normand de naissance s’est structurée autour de l’informatique. De ses premiers émois numériques, il a gardé des valeurs chères à de nombreux acteurs des débuts du Web : l’échange, l’accessibilité au plus grand nombre, la transparence.

Des idéaux que l’on retrouve dans son dernier projet en date, «/e/» (à prononcer « i »), un système d’exploitation (OS) pour mobile conçu pour garantir le respect de la vie privée de ses utilisateurs. Le but : proposer une solution de rechange solide aux deux systèmes d’exploitation pour mobile les plus utilisés au monde, Android (Google) et iOS (Apple), à l’heure où la défiance envers les grands empires du numérique ne cesse de gonfler.

Une passion de jeunesse pour les machines

Pour les connaisseurs, Gaël Duval est avant tout derrière l’une des premières distributions Linux « grand public » : Mandrake, lancée en juillet 1998. Mais sa passion pour les machines est largement antérieure. Dès 1983, il bidouillait quelques modestes programmes sur son premier micro-ordinateur, un Laser 200. Un engin rudimentaire, dépourvu de mémoire et d’interface graphique, mais qui provoque un choc chez le gamin seulement âgé de 10 ans.

« Un micro-ordinateur, c’est un truc qu’on ne voyait que dans les films ou les séries » Gaël Duval

Il grandit en dévorant les revues spécialisées fournies par Alfred, son grand-père, qui s’intéresse lui aussi à cette technologie balbutiante. Il y découvre des personnalités encore peu connues à l’époque, comme Steve Jobs ou Bill Gates. « C’était hyperexcitant », se souvient-il. « J’avais l’impression d’appartenir à une famille d’initiés. Un micro-ordinateur, c’est un truc qu’on ne voyait que dans les films ou les séries. »

C’est sur une machine de ce type que Gaël Duval a découvert l’informatique.

Le second choc survient en 1990, alors qu’il accompagne un ami anglais dans le laboratoire de son père astrophysicien, à Cambridge. Il y assiste à un événement aussi inhabituel pour l’époque que banal de nos jours : l’envoi d’un e-mail. La possibilité de communiquer avec le monde entier lui fait tourner la tête.

Mandrake, une envie pressante d’entreprendre

C’est finalement pendant une licence en informatique qu’il découvre le système d’exploitation libre Linux, alors que Windows 95 commence à prendre une place importante dans les foyers. Avec son adaptabilité aux besoins de chacun, le noyau développé par Linus Torvalds séduit le jeune passionné d’interfaces graphiques.

« Je trouvais les produits de Microsoft inintéressants » Gaël Duval

Un choix plus pratique que politique selon lui : « Je trouvais les produits de Microsoft inintéressants ». Poussé par une envie pressante d’entreprendre, Gaël Duval entend démocratiser cet outil jusque-là surtout réservé aux bidouilleurs et développe Mandrake.

Dans un premier temps, ça ne prend pas du tout. Mais un court billet publié quelques semaines plus tard sur le site américain Slashdot va changer la donne. « Je suis parti en vacances deux semaines à Marseille », se souvient-il. « Un ami linuxien m’a contacté et m’a conseillé de trouver un moyen de vérifier mes mails. A mon retour, ma boîte contenait 350 messages. »

Choix stratégiques hasardeux

Six mois plus tard, en janvier 1999, Gaël Duval cofonde la société MandrakeSoft avec Frédéric Bastok et Jacques Le Marois. Ce dernier se souvient de débuts « folkloriques », livrant lui-même « des CD gravés à la main dans des enseignes spécialisées, comme Surcouf, dans le 10e arrondissement de Paris, à vélo ».

Mais en l’espace de quelques mois, les levées de fonds se multiplient, les partenariats commerciaux se mettent en place dans le monde entier et 150 salariés sont recrutés. Mandrake devient la distribution pour ordinateur de référence pour Linux.

« Avant Mandrake, je trouvais Linux et le logiciel libre passionnants en théorie, mais difficile dans la pratique », témoigne Alexis Kauffmann, qui cofondera plus tard l’association « libriste » Framasoft. « C’est cet outil qui a permis à des gens comme moi, non geek, simple prof de maths intéressé par les nouvelles technos, de découvrir et d’utiliser Linux pour la première fois. L’installation était considérablement simplifiée, il tournait sur davantage d’ordinateurs et s’ouvrait sur un environnement graphique ressemblant à Windows. »

L’aventure Mandrake – devenu entre-temps Mandriva à la suite d’un procès mal négocié – se conclut en 2006 pour Gaël Duval. Minée par une gestion financière et des choix stratégiques hasardeux, la société doit réduire les coûts et se sépare de nombreux salariés, y compris de son cofondateur.

« La solution que tout le monde attendait »

Dans les années 2010, l’idée d’«/e/» vient à Gaël Duval avec en toile de fond les révélations d’Edward Snowden sur la surveillance numérique et la mise au premier plan du débat sur la protection des données personnelles. « J’avais aussi remarqué à titre personnel que je glissais de plus en plus du monde du libre vers le propriétaire, sans même m’en rendre compte », analyse-t-il :

« J’utilisais des outils Google, très pratiques, j’étais passé de Linux à Mac, j’avais un iPhone depuis 2007… Et un jour, lors d’une réunion de famille, j’ai pris mon père en photo avec son téléphone Android, qui lui a ensuite envoyé une notification pour avoir son avis sur le restaurant dans lequel on était. Je me suis dit “ce n’est pas possible, il y a quelque chose qui ne va pas”. »

Gaël Duval veut passer à l’action. En résulte l’« e Foundation », qu’il préside, dédiée à la diffusion d’un système d’exploitation open source pour appareils mobiles, qui met l’accent sur la protection de la vie privée de ses utilisateurs. La fondation compte une trentaine de collaborateurs, dont 25 indépendants à travers le monde, ainsi que de nombreux volontaires.

Gaël Duval, président de l’e Foundation.

Pour son ancien collaborateur Jacques Le Marois, «/e/» est le fruit d’un cheminement similaire à Mandrake : « L’idée géniale de Gaël a été de créer la solution que tout le monde attendait. Il est simplement en train d’appliquer le même modèle sur le marché des OS mobiles. »

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Aujourd’hui, «/e/» est toujours en version bêta depuis son lancement, en septembre  2018. L’OS ne compte aujourd’hui que 2 000 utilisateurs quotidiens, même s’il tourne sur 85 modèles. Le système n’étant pas encore stable, Gaël Duval ne vise pour le moment pas une clientèle grand public, mais invite déjà les personnes « sensibles à la protection des données personnelles, au développement durable et à tous ces enjeux colossaux » à lui donner une chance.

« Si tu ne peux pas utiliser Spotify ou Waze, c’est foutu »

Face au poids écrasant d’Android et d’iOS, le pari ne sera pas simple à réaliser. Avant «/e/», d’autres tentatives similaires ont déjà vu le jour : Firefox OS, Ubuntu Touch ou encore Tizen se sont cassé les dents.

L’erreur de ces projets, selon Gaël Duval : le manque d’applications disponibles. « Tu peux faire un OS plus léger qu’Android, plus fluide… Mais si tu ne peux pas utiliser Spotify ou Waze, c’est foutu. » Pour le moment, «/e/» étant basé sur Lineage, un système d’exploitation lui-même dérivé d’Android, les applications proposées sont celles qui existent déjà dans le Play Store (le catalogue d’applications d’Android). Elles sont cependant agrémentées d’un système de notation en fonction de leurs pratiques en matière de données personnelles.

Exemple des applications sur l’écran d’accueil d’un smartphone tournant sous « /e/ ».

Le problème est donc contourné… pour le moment. A terme, si l’OS gagne en popularité, les éditeurs d’applications pourraient bien se pencher sur ce système, et demander à ce que les applications redistribuées à partir du Play Store soient enlevées du catalogue de téléchargement d’«/e/». Il s’agit là du « plus gros enjeu du projet », estime M. Duval. Plusieurs voies de secours sont d’ores et déjà étudiées, notamment la mise en place d’accords avec les éditeurs, ou le recours aux applications Web, fonctionnant directement à travers un navigateur.

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