À La Mecque des schubertiens
Le Vorarlberg fait rêver, chaque été, interprètes et amateurs du musicien autrichien.
- Publié le 27-06-2022 à 12h55
- Mis à jour le 27-06-2022 à 15h06
Si Bayreuth est La Mecque des wagnériens et Pesaro celle des rossinistes, Schwarzenberg est celle des schubertiens. Ce petit village du Bregenzerwald (une région idyllique d’alpages et de forêts au-dessus de Bregenz, à l’ouest de l’Autriche) est devenu, depuis vingt ans, le principal point d’ancrage de la Schubertiade. Créé en 1976 par le baryton Hermann Prey, ce festival annuel qui se tient par vagues de mai à septembre propose 80 concerts avec les meilleurs pianistes, chambristes et récitalistes, et des programmes qui ont Schubert pour centre, mais embrassent aussi un XIXe siècle élargi, de Mozart à Richard Strauss.
Allure de grange
Tous les jours, le Angelika Kauffmann Hall, une belle salle tout en bois chaud aux allures de grange de ferme, accueille deux ou trois concerts (matin, après-midi ou soir), de quoi satisfaire chaque fois six cents spectateurs venus avant tout d’Autriche et des pays adjacents (Allemagne et Suisse) mais aussi du reste de l’Europe et des États-Unis.
Où encore pourrait-on entendre à 16 h les trois sonates posthumes et à 20 h le Winterreise ? Vendredi, c'était l'excellent Adam Laloum qui offrait les Deutsch 958, 959 et 960. Pantalon noir et chemise blanche à pans battants, allure de séminariste sage, le regard souriant dans le vague, le Français entre dans chaque sonate de façon décidée, mais, très vite, oblique vers le doute, la mélancolie et l'émotion. Le menuet swingue, les scherzos sont élégants, les rubatos rares mais déterminants : deux heures de piano intense et bouleversant qui marquent les mémoires.
Krimmel, de la race des grands
Le soir, dans le cadre d'une intégrale des lieder publiés par Schubert de son vivant, Konstantin Krimmel est sur la même scène. Le grand public connaît moins ce baryton germano-roumain aux allures d'ours débonnaire, même s'il a publié chez Alpha un beau disque de mélodies titré Saga, mais il est de la race des grands. La voix semble mince au premier abord, mais on comprendra très vite que c'est parce qu'il garde de la réserve pour les nuances : élégie, fragilité, noirceur, puissance, tout lui est possible. Accompagnement solide (parfois un peu trop sonore) de Daniel Heide.
Samedi matin, toujours le même décor, mais la moyenne d'âge du public - plutôt élevée - a quelque peu baissé. Nombre d'adolescentes accompagnent parents (ou grands-parents) pour voir les frères Jussen, hydre néerlandais à deux têtes blondes, quatre yeux bleus et quatre mains qui alternent registres grave et aigu et se cèdent la place sur le clavier avec des contorsions sensuelles qui feraient passer Elvis Presley pour un enfant de chœur. Mais on le comprendra très vite, depuis l'Allegro Lebensstürme D. 947 jusqu'à la sublime Fantaisie en fa mineur D. 940, Arthur (28 ans) et Lucas (24 ans) ne sont pas seulement extraordinairement beaux et splendidement habillés. Formés notamment par Pires ou Pressler, ils sont aussi de remarquables pianistes qui maîtrisent Schubert aussi bien que Mozart et Mendelssohn. En rappel, ils offrent les Moutons paissant paisiblement de Bach. Dehors, dans l'ombre des vertes prairies de Schwarzenberg, les vaches apprécient en connaisseuses.
>>> Rens. : www.schubertiade.at