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Climat de travail malsain à SOS violence conjugale

Allégations de violence psychologique, intimidation et répression au sein de l’organisme d’aide aux femmes



Allégations de violence psychologique, perte de confiance en la direction, démissions en série, ministres interpellés et syndicat mis en demeure : rien ne va plus chez SOS violence conjugale, qui serait aux prises avec un climat de travail « malsain et toxique ».

Notre Bureau d’enquête a pu s’entretenir au cours des dernières semaines avec des employées et des ex-employées qui affirment avoir subi ou avoir été témoins de gestes de harcèlement et de manque de respect de la part de la direction de SOS violence conjugale. 

« Je ne peux pas comprendre comment on peut se rendre là. Encore moins pour un organisme en violence conjugale », déplore une syndiquée qui, comme l’ensemble de ses collègues, a souhaité garder l’anonymat, par peur de représailles.

Photo Chantal Poirier

La situation est telle que depuis le mois de septembre, cinq intervenantes ont quitté l’organisation, qui emploie une vingtaine de personnes. 

« Je trouvais ça très paradoxal de travailler contre la violence conjugale avec des personnes qui essaient de me contrôler et qui font de la violence psychologique », expose une femme, qui a remis sa démission à la fin de 2021. 

Cri du cœur 

Le syndicat de SOS violence conjugale a dénoncé l’ambiance de travail dans une lettre adressée à la ministre responsable de la Condition féminine, Isabelle Charest, ainsi qu’au ministre de la Justice, Simon Jolin-Barrette.  

« Pendant que les employées de SOS violence conjugale répondent aux appels à l’aide de femmes victimes de violence, elles doivent parallèlement subir elles aussi une certaine forme de violence au travail. C’est inacceptable », peut-on lire dans la missive obtenue par notre Bureau d’enquête et datée du 12 octobre dernier. 

Citant des exemples précis, le syndicat décrit un climat de travail « caractérisé par des manœuvres de manipulation, de harcèlement administratif et de répression à l’égard du personnel ». 

Il fait aussi état d’une « désorganisation de la gestion » et de « menaces administratives au quotidien ». 

Après avoir pris connaissance de cette lettre, Québec a contacté la direction de SOS violence conjugale pour lui offrir de faire appel au ministère du Travail pour mettre en place un processus de médiation, confirment les attachés de presse des ministres visés.   

  • Écoutez le résumé de la journaliste Kathryne Lamontagne au micro de Philippe-Vincent Foisy sur QUB radio:   

Mise en demeure  

SOS violence conjugale a plutôt fait parvenir une mise en demeure au syndicat, dans laquelle elle dénonçait les « accusations fausses, non fondées et injustes » contenues dans la lettre destinée aux ministres, qui constituait à leurs yeux un « geste d’intimidation ».  

Les exemples évoqués par le syndicat ne seraient pas de la « violence », mais bien des « enjeux de relations de travail », plaident la directrice générale et la présidente du conseil d’administration, qui réclamaient des excuses pour ces « propos diffamatoires ». 

Réclamations de 25 000 $ 

Le syndicat ayant refusé d’obtempérer à cette demande, la directrice générale Jocelyne Jolin a levé un grief patronal, le 11 novembre 2021, dans lequel elle réclame entre autres 25 000 $ en dommages et intérêts. Le grief a été rendu public et diffusé sur une plateforme consultée par l’ensemble des employés. 

En entrevue, le syndicat a dit déplorer cette approche judiciarisée. Il soutient avoir offert à différentes occasions à la direction d’aller en médiation afin de rétablir les relations de travail au sein de l’organisme, tout comme le suggérait Québec. Sans succès. 

« C’est pas d’hier qu’il y a une problématique à l’interne. Et nous, c’est pas d’hier non plus qu’on veut trouver une solution à ces problèmes-là », déplore Laurent Thivierge, responsable du dossier pour la CSQ.  

Des allégations non fondées, plaide la direction  

Les allégations troublantes liées au climat de travail au sein de SOS violence conjugale sont non fondées, selon la direction, qui refuse toutefois de préciser de quelle manière elle est parvenue à cette conclusion.  

La directrice générale Jocelyne Jolin a décliné toutes nos demandes d’entrevue visant à commenter le climat de travail qui règne au sein de l’organisation, qu’elle dirige depuis 2016.  

Par courriel, Mme Jolin confirme avoir pris connaissance des doléances exprimées par les employées de SOS violence conjugale dans la lettre envoyée à deux ministres du gouvernement du Québec. Mais le dossier serait clos, selon elle. 

Investigation complétée

« SOS violence conjugale est au courant du contenu de cette lettre et avait déjà fait enquête et conclut que les allégations étaient non fondées », a-t-elle écrit, refusant de détailler davantage le processus.

Des employées à qui nous avons parlé remettent toutefois en doute l’existence même de cette investigation. Aucune d’entre elles ne semble avoir été informée de cette démarche. 

Bien que l’« enquête » soit complétée, la direction a invité le syndicat à préciser s’il existait d’autres allégations, « ce qu’il a omis de faire », écrit Jocelyne Jolin. 

Négociations en cours 

Notons que cette saga se déroule alors que le syndicat et la direction de SOS violence conjugale sont en négociations en vue du renouvellement de la convention collective, échue depuis mars 2020.  

Le syndicat a d’ailleurs voté en faveur d’un mandat de grève de 10 jours, à la fin du mois de mars. 

Une conciliatrice a été nommée pour accompagner les parties lors des négociations, qui doivent reprendre en mai. 

La présidente du conseil d’administration de SOS violence conjugale, Marie-Sylvie Poissant, a décliné notre demande d’entrevue.

Des témoignages troublants  

« Les filles ne se sentent même pas à l’aise d’appeler la direction quand il y a des problématiques. Quand elles ont appelé, elles ne se sentaient pas écoutées. Elles sentent qu’elles dérangent. »

– Employée 1

« Pendant six ou sept mois, on a eu zéro réunion d’équipe. C’était pendant l’année record des féminicides qui se sont produits. On a eu une hausse d’appels, des appels plus difficiles. Et on se faisait quasiment dire d’endurer. »

– Employée 2

« Je sens souvent qu’on me répond comme si j’étais une idiote. Ça, ça arrive régulièrement. Je trouve vraiment qu’on n’est pas valorisées. »

– Employée 3

« C’est la folie complète. Pendant qu’il y a une pénurie de main-d’œuvre partout et que tout le monde aide à améliorer les conditions de travail, la direction fait un recul de 30 ans en arrière et pense qu’on a encore le droit d’exploiter le monde. »

– Ex-employée 1

« Je me sentais mal par rapport à mes collègues de les laisser tomber. Mais c’est tellement mal géré. Il n’y avait pas beaucoup de soutien. C’est comme si j’avais évacué le bateau, qui était en train de couler sous l’eau. »

– Ex-employée 2

Qu’est-ce que SOS Violence conjugale ?  

◆ Organisme à but non lucratif fondé en 1987

◆ Il offre des services d’accueil, d’information et de soutien aux victimes, à la population et à toutes les personnes touchées par la violence conjugale

◆ Traite en moyenne 30 000 demandes par année, un nombre qui s’est élevé à 40 000 durant la pandémie

◆ Une vingtaine d’intervenantes travaillent dans les bureaux de Montréal

◆ La direction et le conseil d’administration sont composés de femmes


*Toutes les femmes avec qui nous avons discuté ont tenu à préserver l’anonymat, de peur de représailles de la part de l’employeur.

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