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Entreprises françaises en Russie: où en est-on un an après?

Si certaines entreprises françaises ont tiré un trait sur la Russie, plus de 70 grands groupes ont toujours une présence en Russie et 23 ont même poursuivi leur activité comme avant la guerre en Ukraine.

Renault, LVMH, Publicis, Legrand, Chanel ou encore CMA-CGM... Dans les premières semaines du conflit en Ukraine, un certain nombre d'entreprises françaises ont tenu à faire savoir qu'elles quittaient la Russie.

Pour certaines d'entre elles, il s'agissait d'un véritable sacrifice tant pour le poids économique que représentait le pays de Vladimir Poutine dans leur activité que pour l'histoire qui les liait au pays.

"Sur la Russie, il fallait donner un signal aux marchés financiers. On a dit qu'on allait passer l'activité russe par pertes et profits. Et là, ça fait mal, car il nous a fallu douze à treize ans pour rendre l'activité rentable", expliquait en avril dernier Luca de Meo, le patron de Renault dans Les Echos.

Pointé du doigt par des associations et accusé de fournir l'armée via des filiales, TotalEnergie a mis plus de temps à réagir. Mais au final, le géant français a cédé un certain nombre d'actifs pour un total de 14,4 milliards de dollars d'actifs dépréciés. Il conserve toutefois des participations au sein du gazier Novatek (19,4%) et du projet gazier Yamal LNG (20%) qu'il assure ne pas pouvoir déboucler.

Véritable Eldorado dans les années 90, la Russie représentait alors un marché de près de 150 millions d'habitants (davantage que France et Allemagne réunies) avides de consommation et de mode de vie à l'occidentale.

Entre la chute de l'Union Soviétique en 1991 et le début de la guerre en Ukraine, ce sont ainsi quelque 700 filiales françaises qui se sont implantées en Russie dont 35 entreprises du CAC 40, selon le ministère de l'Economie. Des entreprises parfois devenues leaders dans le pays comme Renault avec sa marque Avtovaz (Lada), Leroy-Merlin dans le bricolage, Bonduelle dans la conserve de légumes ou encore Decathlon dans la vente d'articles de sport.

Pas d'exode massif de Russie

Un an après le début du conflit, où en est-on de la situation? Le premier constat que l'on peut faire et qui concerne tous les pays, c'est qu'il n'y a pas eu d'exode massif d'entreprises occidentales depuis un an. Selon les chercheurs suisses Simon Evenett (Université de Saint-Gall) et Niccolò Pisani (IMD Lausanne), seules 8,5% des entreprises de l'UE et du G7 avaient cédé au moins une filiale à la fin de l'année 2022, soit 120 entreprises au total contre 1284 qui continuent d'opérer.

Sur ces 120 entreprises, les américaines se taillent la part du lion (25% du total) devant les finlandaises (12,5%), les allemandes (11,7%) et les britanniques (10,8%). Les entreprises françaises n'arrivent qu'en 5e position avec 7,5% du total.

Cela étant dit, le poids de la France dans les 1284 entreprises restées en Russie et comptabilisées par les chercheurs est plus faible encore. Ce sont les entreprises allemandes qui représentent le plus gros contingent d'entreprises occidentales présentes en Russie (19,5%) devant les chinoises, les américaines (12,4%), les japonaises (7%), les italiennes (6,3%), les britanniques (5,8%) et enfin les françaises (5,6%). Ce qui représente environ 70 sociétés hexagonales encore présentes en Russie.

La situation des entreprises est cependant plus complexe dans la plupart des cas. C'est ce que détaille une étude de l'Université américaine de Yale qui fait un recensement en temps réel de la situation des grandes entreprises en Russie.

Elle les classe ainsi en cinq catégories:

A: elles se sont retirées

B: elles ont suspendu leur activité mais peuvent les reprendre

C: elles ont réduit certaines activités mais poursuivi d'autres

D: elles ont reporté certains investissements mais poursuivi leur activité

F: elles n'ont rien changé à leur activité

23 entreprises françaises poursuivent leur activité

On peut voir ainsi que 16 multinationales françaises sont classées A. C'est le cas d'Air Liquide, d'Atos, de L'Occitane, de Renault ou encore Société Générale et de Sodexo. Elles ont totalement quitté la Russie et y ont cédé leurs actifs.

19 sont classées B comme Michelin, Pernod Ricard, Hermès, Kering, Danone ou Decathlon. Mais cette dernière chercherait à vendre définitivement ses activités.

Mais c'est dans la dernière catégorie, la F, qu'elles sont le plus nombreuses. On en dénombre 23 dans le recensement tenu par l'université américaine. Certains cas sont connus comme ceux d'Auchan, Bonduelle, le groupe fromager Savencia ou encore Lactalis. Ces entreprises assurent rester en Russie pour "nourrir les populations", comme l'expliquait l'année dernière le DG de Lactalis sur BFM Business.

Mais pour d'autres entreprises, le maintien d'une présence est plus surprenant. C'est le cas du fabricant d'articles de sport Babolat, du vendeur de lingerie Etam, des marques de prêt-à-porter Lacoste ou Cacharel, du fabricant de stylos Bic ou encore de nombreuses sociétés qui opèrent dans la beauté ou les salons de coiffure comme Clarins, Provalliance (Jean-Louis David), Mod's Hair, Dessange ou Camille Albane.

Ces entreprises ne sont pas dans l'illégalité. Le gouvernement français n'a pas donné de consigne claire concernant le retrait des entreprises françaises de Russie. L'exécutif ne souhaitant pas mettre en difficulté les groupes hexagonaux alors même que le pays était devenu ces dernières années le deuxième plus gros investisseur en Russie.

Pas de directive non plus du côté de l'UE. Si la Commission a listé un certain nombre de produits interdits à l'export (technologies de pointe, aéronautique, voitures de luxe, équipements pour l'énergie...) et a décrété un embargo sur de nombreuses matières premières (hydrocarbure, acier, or, ciment...), elle n'interdit pas une présence capitalistique européenne sur le sol russe.

Le principe général étant de ne pas y faire commerce de produits susceptibles d'avoir une utilisation tant civile que militaire.

Des soupçons de complicité

Mais depuis la mobilisation partielle décrétée en septembre dernier par Vladimir Poutine, les présomptions de complicité avec le régime se multiplient. La loi russe oblige en effet les multinationales à se conformer aux exigences de fourniture matérielle pour l'armée notamment.

Le neuvième paquet de sanctions européennes a de plus élargi la liste des produits concernés par l'interdiction de commercialisation. C'est notamment pour cette raison que le groupe de fourniture électrique Legrand a finalement renoncé à son activité russe en janvier dernier.

Restent les zones grises comme les produits de consommation courante qui ne sont pas concernés par les sanctions mais qui pourraient être fournis à l'armée russe. Ces dernières semaines des soupçons ont ainsi pesé sur Bonduelle et plus récemment sur Auchan accusés par des ONG ou sur les réseaux sociaux d'avoir participé à des collectes de produits en faveur des militaires russes en Ukraine.

Des allégations démenties par les deux groupes. Bonduelle a qualifié de "fake news" l'information selon laquelle des paniers de provisions de Noël auraient été fournis à aux soldats russes. Auchan de son côté dément le fait qu'il aurait réalisé sciemment en mars 2022 une collecte de produits pour l'armée russe.

Un autre distributeur du groupe Mulliez est dans le collimateur des ONG. Il s'agit de Leroy-Merlin dont les produits d'équipement auraient été photographiés sur le front russe. La société qui est classée dans la catégorie des entreprises qui ont cessé leur expansion en Russie aurait de plus poursuivi des chantiers, notamment un jusqu'en novembre dernier à l'est de Moscou.

Cette dernière se défend en prétendant vouloir protéger ses salariés en continuant à leur fournir un travail. Leroy-Merlin était une des trois entreprises internationales les plus exposées en Russie avant la guerre. En 2021, elle y avait réalisé plus de 18% de son chiffre d'affaires mondial.

Frédéric Bianchi
https://twitter.com/FredericBianchi Frédéric Bianchi Journaliste BFM Éco