Marie-France BrièreLa pression austéritaire

Nous accueillant au Centre des arts actuels Skol, des mots présentés sur le mur se succèdent : bloc de présent, fabrication, permanence, effritement, fantôme, inimaginable, condensation, réification, refonte. Tels des blocs de marbre extraits d’une carrière avec une précision calculée, ces mots qui constituent l’&oelig;uvre Dazibao (2022) sont puisés dans les ouvrages qui les ont vus naitre : Philippe Garrel en substance (Philippe Azoury), Art et multitude : Neuf lettres sur l’art (Antonio Negri), Journal (Marie Uguay) et L’humaine condition (Hannah Arendt). De concert avec Milan Bernard, commissaire de l’exposition, l’artiste Marie-France Brière dévoile d’entrée de jeu le lexique de son langage artistique. Les mots s’articulent en une constellation qui permet de lire les &oelig;uvres sculpturales abstraites peuplant l’espace. C’est non seulement le sens des mots qui est mis de l’avant, mais également leur matérialité. Chaque terme est macrophotographié à même les livres de manière à faire apparaitre les imperfections et veinures du papier, qui s’apparentent étrangement à celles du marbre. Les sculptures de Brière jouent sur l’équilibre entre un minimalisme évoquant l’arte povera et un processus artistique d’enrobage de la matière présentée. Inserts (2019-2022) témoigne de la matérialité non travaillée ni altérée du marbre de Carrare (Italie), extrait artisanalement. Blocs erratiques (2022), &oelig;uvre transitionnelle et procédurale, pointe vers une action interrompue, sculptures en fabrication ou encore en déplacement opérant dans l’entredeux, ni « ici », ni « là ». Soutenues par du laiton, du schiste ardoisier, du bois et des courroies de levage, les deux &oelig;uvres arborent un marbre de Carrare qui semble flotter, comme s’il était suspendu entre le moment de son extraction en 1980 et de sa présentation en 2022, et l’élèvent par le fait même au rang d’&oelig;uvre d’art. Cet écart temporel entre l’acquisition du marbre et le devenir-art de cette matière est également marqué par le passage d’une extraction traditionnelle, minutieuse et artisanale à une extraction à excès qui s’inscrit dans un néolibéralisme sans limites allant main dans la main avec un capitalisme débridé (voir l’&oelig;uvre photographique Henraux ). Marie-France BrièreLa pression austéritaire, vues d'exposition, 2022.Photos : Denis Farley, permission de l’artiste Esker (2022) se distingue des autres &oelig;uvres en présentant un bloc d’aluminium sur lequel est apposé un marbre étatsunien aux larges veinures grisâtres et au grain brut, beaucoup moins délicat et raffiné que le marbre de Carrare jusqu’alors rencontré. Commentaire sur la réification du marbre comme objet d’art, Esker nous invite à réfléchir au statut paradoxal de cette matière : tantôt révérée comme matériau noble, tantôt victime de l’exploitation industrielle. Seule &oelig;uvre réalisée antérieurement à l’exposition, Nimber le lieu (2004) s’intéresse pour sa part aux différents états de la matière minérale. La pierre est travaillée et polie par endroits et laissée intacte ailleurs. Le pourtour du bloc est enrobé d’une couche de fine poussière de marbre effrité, tel le fantôme de la matière devenue autre, métamorphosée et sublimée. Radicalement orientées vers un monde de possibilités inexhaustibles, les &oelig;uvres qui constituent La pression austéritaire excèdent une temporalité qui se voudrait strictement humaine. Le temps du marbre est autre ; il nous dépasse et nous survit et c’est pour cette raison qu’il rend possible la réflexion sur un à-venir en (re)construction. Marie-France BrièreHenraux, 2022.Photo : Guy L’Heureux, permission de l’artiste Marie-France BrièreNimber le lieu, 2004.Photo : Denis Farley, permission de l’artiste Joëlle Dubé, Marie-France Brière

Marie-France Brière
La pression austéritaire

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